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Le magicien des vitrines. Le muséologue Georges-Henri Rivière - IMPRIMÉ

Nina Gorgus. Le magicien des vitrines. Le muséologue Georges-Henri Rivière. Éditions de la MSH, 2003, 416 pages.

Vingt ans après la mort de Georges Henri Rivière, il est approprié de revenir sur son œuvre et l’influence qu’elle exerce encore sur la pensée muséologique. C’est ce que propose Nina Gorgus dans Le magicien des vitrines. Il s’agit ici, selon l’expression de l’auteur, d’une biographie intellectuelle – un pèlerinage parfois complaisant, il faut bien le dire, mais non sans intérêt dans la pensée d’un des grands de la muséologie.

On y découvre ainsi avec étonnement un jeune Rivière à l’âme d’artiste, organiste, pianiste de concert et de jazz, auteur, même, d’une chanson pour Joséphine Baker, qui abandonne la musique pour se consacrer, à partir de 1928, à ses tâches d’assistant de Paul Rivet au musée d’Ethnographie au Trocadéro. Encore débutant, il découvre les musées américains, où éducation et délectation sont placées sur le même pied et les musées de plein air scandinaves qui cherchent à présenter la culture populaire nationale « en miniature ». Il visite les musées de Cologne, de Berlin, d’Helsinki, de Leningrad, de Moscou, de Cracovie et de Varsovie, d’où il ramène la notion de musée comme instrument d’éducation politique. Ainsi inspiré, il se lance dans le renouvellement de la muséographie vieillotte du Trocadéro. L’objet compris par Rivière est désormais exposé dans une mise en scène ambitieuse et choisi non plus pour ses qualités exceptionnelles mais pour son caractère ethnographique. C’est au Trocadéro qu’il échafaudera ses premiers plans pour un musée national d’ethnographie.

Puis vient en 1937 la création du département des Arts et Traditions populaires au Louvre dont Rivière est nommé conservateur et dont l’exposition est aménagée provisoirement dans l’aile ouest du palais de Chaillot dans des conditions insuffisantes. Pourtant, ce n’est qu’en 1969 que les ATP emménageront dans un domicile définitif. Pour Rivière, le musée qui s’en suivrait devait « devenir un lieu d’identité locale dans les communes rurales » (p.103). D’entrée de jeu, il conçoit au nom des ATP des expositions présentées dans le cadre de l’exposition internationale de Paris qui connaissent un grand succès.

Pendant la guerre, Rivière fraye avec le régime de Vichy en alignant la lecture du folklore des ATP sur la politique officielle de revalorisation de la culture rurale. Il sera d’ailleurs mis sous enquête pour collaboration et relevé de ses fonctions pendant six mois après la Libération, sans qu’il en résulte d’accusations concrètes. Comme le dit l’auteur, « décrire Rivière comme un opportuniste est certes tentant dans ce contexte, mais la faculté d’adaptation est une caractéristique de sa personnalité » (p.139).

Au rythme où il passe du folklore à l’ethnologie puis à l’anthropologie sociale, Rivière contribue à donner une forme à la discipline. Du simple objet artisanal, sa compréhension du patrimoine culturel en vient à s’inscrire dans un processus de civilisation de longue durée qui comprend les multiples facettes d’une culture populaire qui n’est plus exclusivement rurale. C’est dans ce cadre que Rivière développe une muséographie « du fil de nylon ». Peu d’objets, peu de textes, des mises en scènes expressives, des regroupements d’objets signifiants en termes d’esthétique et d’histoire du quotidien, des reconstitutions d’intérieurs formeront des expositions qui, malgré l’intention du muséologue, s’adressent d’abord à un public averti. Cette muséologie, il la popularise auprès d’autres musées français par le biais des projets muséaux encadrés par les ATP et par la Direction des musées de France, avec laquelle il collabore après sa création en 1945.

L’ouvrage présente encore Rivière l’homme du monde, celui qui travaille sur la scène internationale à structurer et à professionnaliser le réseau des musées, d’abord comme directeur, puis comme conseiller permanent de l’ICOM. Et il y a le Rivière qui collabore à l’invention des écomusées, « un miroir pour les habitants qui pouvaient y reconnaître un contexte social et historique » (p.257).

On l’aura compris, l’homme était tentaculaire. C’était l’époque où l’on pouvait encore être un homme de la Renaissance, où la profession s’apprenait un peu sur le tas et où tout était à faire. Mais son héritage est aujourd’hui contesté. Son grand œuvre, le Musée national des Arts et Traditions populaires à Paris, déménagera sous peu à Marseille où il deviendra, avec un mandat revu, le Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. Les écomusées et la nouvelle muséologie eux-mêmes sont critiqués – « ce n’est pas dans les projets réalisés que le concept de la nouvelle muséologie a montré sa force, mais dans les discussions qu’il a suscitées », dit l’auteure à la page 272.

Traduit de l’allemand, l’ouvrage était à l’origine une thèse de doctorat et en a conservé en partie l’aridité. La synthèse d’opinions y abonde; l’opinion personnelle y est rare. Tel qu’annoncé d’entrée de jeu, on y rencontre peu Georges Henri Rivière l’homme, mais beaucoup l’intellectuel à qui l’on doit, faut-il le rappeler, l’essentiel de ce que l’ICOM propose encore aujourd’hui comme définition du musée. La démarche est d’ailleurs rendue d’autant plus périlleuse par le fait que Rivière qui, on le sait, s’est énergiquement activé passé les quatre-vingt ans, a conçu des expositions et enseigné, mais a laissé peu d’écrits théoriques. L’auteure a donc dû travailler avec des bribes qu’elle a assemblées de son mieux pour leur donner un sens, tâche dont elle s’acquitte d’ailleurs de façon louable. Rien, par contre, ne justifie les repères chronologiques flous, parfois absents, ce qui irritera le lecteur intéressé à l’aspect historique du propos et qu’une chronologie en annexe compense fort mal.

L’ouvrage a aussi le mérite de réinscrire la démarche de Rivière dans le contexte du développement international de la muséologie au fil des époques, même si le chapitre 10, entièrement consacré aux liens entre les muséologies française et allemande, apporte bien peu de choses au propos de l’ouvrage. Enrichi par des photos souvent éloquentes, Le magicien des vitrines demeure un ouvrage utile pour quiconque s’intéresse à l’histoire de la muséologie au 20e siècle. Il apporte un éclairage complémentaire au classique La muséologie selon George Henri Rivière, paru en 1989.

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